Rudolf Duala Manga Bell –martyr & héros camerounais
Marcus Garvey :
Un homme sans culture est comme un arbre sans racine. »
La ruée vers l’Afrique des puissances coloniales occidentales
Le Cameroun, comme beaucoup de pays africain, doit faire face à la ruée des portugais, anglais, français et allemands en Afrique. Ils se battent férocement pour se partager l’Afrique et établir leurs colonies. En effet, en 1860, les Allemands arrivent au Cameroun. Ils sont subjugués par la beauté des paysages, de la nature et la flore africaine. Ils découvrent un peuple qui vit de la pêche, de l’agriculture et du commerce au fleuve Wouri. Un botaniste allemand, Mann étudie la flore et en profite pour faire l’ascension du mont Cameroun en 1861.
Quatre familles règnent chez les Dualas (Douala) : les rois Akwa, les rois Bell, les princes Prisio et Deido. De plus, Douala est composée de différentes tribus : les Bakweri, les Bakole, les Bamboko, les Isubu (ou Isuwu), les Mungi, les Wovea, les Limba (ou Malimba). Toutes ces familles, ainsi que le peuple, voient débarquer sur leurs terres des gens venant d’ailleurs, avec de la technologie et des richesses qu’ils ne connaissent pas. Ils doivent faire face à la bataille coloniale de tous ces différents pays pour les conquérir.
En sentant peut-être le danger, de peur de perdre leurs terres, en 1879, le roi Akwa, avec le consentement de tous les chefs, écrit à la reine Victoria et demande à l’Angleterre d’assurer le protectorat du Cameroun. Le 6 novembre 1881, les deux rois, des deux lignées Akwa et Bell, s’unissent et écrivent une autre lettre, avec la même demande, au Premier ministre britannique. Mais, la réponse est un refus. Avec l’arrivée des Allemands sur leur territoire, les chefs formulent la même demande aux allemands. Les Allemands acceptent la proposition. Un traité « Germano-Douala », est ainsi signé les 11 et 12 juillet 1884, dans l’estuaire du Rio Camaroes (le Wouri). Le Cameroun, suite à ce traité, est sous protection allemande. Cameroontown devient Kamerunstadt. La souveraineté politique et économique est transférée aux territoires Allemands. Mais, les Duala (Douala), restent les seuls propriétaires de leurs terres.
Les premières tensions commencent. Les chefs des Bonabéri, sur la rive droite du Wouri, Lock Priso, voit d’un très mauvais œil ce traité. Il refuse catégoriquement ce traité et n’accepte pas que le drapeau allemand soit hissé (19 juillet 1884) sous le territoire camerounais. En guise de représailles, les Allemands, mieux armés, bombardent les quartiers de Bonabéri et Joss Town.
Début de vie et règne du roi Rudolf Duala Manga Bell
Un héritage familial très riche
Rudolf Duala Manga Bell est le fils aîné du roi Auguste Manga Ndoumbé Bell, de la lignée Bell du peuple Douala. Son père était un grand bâtisseur et un grand commerçant. Il avait développé une grande économie de chasse d’éléphants et de plantation. Il vendait aussi des produits agricoles tels que le cacao, l’huile de palme, le bois et l’ivoire. Grâce à tout cet argent, il investissait dans l’immobilier vers Bonanjo. Il était une des plus grandes fortunes du pays. Le père de Rudolf a construit un palais somptueux au centre de Douala « le Pagode ». Aujourd’hui, la « Pagode » est la plus grande attraction touristique de la ville.
En 1872, Rudolf Duala Manga Bell est né. Il vient au monde avec un héritage familial très fort, car il est le fils et le petit-fils de rois de la lignée Bell. Soucieux de son éducation, il est envoyé en Allemagne pour poursuivre ses études. Il s’inscrit au lycée d’Ulm, puis il part à Bonn pour étudier le droit à l’université. Il apprend et parle couramment allemand. Il est fait « Ein-Jähriger », c’est un certificat qui confirme qu’il a une éducation au-dessus du niveau primaire.
En 1896, il termine ses études en Allemagne et décide de retourner chez lui, dans la terre de son père et de ces ancêtres.
En décembre 1896, il épouse Engombe Dayas, une métisse d’origine Anglaise-Camerounaise. Elle est la fille du capitaine Anglais Thomas Dayas. Il devient fonctionnaire et apprend, avec l’aide de son père, comment gérer les affaires du pays, sous l’administration allemande.
En 1902, Kamerunstadt redevient Douala (éponyme de Ewale fondateur de la ville) et Buéa devient la capitale du Cameroun. Suite à la présence trop importante de l’administration allemande, des tensions commencent à apparaitre entre les autorités coloniales et les familles Bell, Akwa et le peuple de Douala.
Entre 1902-1903, Rudolf effectue un voyage en Allemagne, avec son père, pour aller se plaindre devant les autorités allemandes. Le roi Auguste Manga Ndoumbé, grâce à l’aide de son fils éduqué, arrive à bien formuler sa plainte et les désires de son peuple. Les Allemands comprennent les revendications du peuple et le voyage est un succès. Ils en profitent aussi pour visiter d’autres pays d’Europe, comme Angleterre.
Le 2 septembre 1908, le père de Rudolf décède. Il succède ainsi à son père en tant que chef suprême du clan des Bell, qui englobe les Bonamandone, Bonapriso, Bonadoumbe, tous les propriétaires et habitants du plateau Joss à Douala. Il est, officiellement, intronisé roi, le 2 mai 1910, par le chef des Bonaberi, dans le respect de leurs coutumes traditionnelles. Les Allemands reconnaissent son autorité dans la ville de Douala, la bande littorale, les bassins du Wouri, la Sanaga et le Nyong et ses relations sont plutôt positives avec eux.
Son père Auguste Manga Ndumbe lui laisse comme héritage :
- Une pension de 8 000 marque, des plantations de cacao (200 hectares) et du bois dans la rivière de la vallée de Mungo, des propriétés immobilières à Douala, et une position lucrative en tant que chef d’une cour d’appel ayant compétence sur le littoral du Cameroun. Mais, il lui lègue aussi des dettes d’environ 7 000 marques.
- Grâce à son père et son grand-père, Ndumbe Lobe de Bell, Rudolf hérite d’une forte position politique sur les autres lignées de son clan.
- Sa mission est de maintenir la paix et l’unité dans son clan et avec son peuple. Malgré, les nombreuses rivalités et tensions qui apparaissent peu à peu. Il se bat aussi pour garder de bons rapports avec les peuples voisins.
La source du conflit : le projet d’urbanisation « gross Duala »
Les tensions deviennent de plus en plus vives. Le projet d’urbanisation « gross Duala » , en 1910, du gouverneur Allemand Théodore Seitz, est à l’origine de tous les maux entre le roi Rudolf Manga Bell et son peuple, avec l’autorité allemande en place.
Mais, en quoi ce projet d’urbanisation consiste exactement ?
Ce projet consiste à créer une ville coloniale au bord du fleuve, après en avoir exproprié les populations Duala, et de séparer celle-ci de la ville africaine par une Freie Zone d’une largeur d’un kilomètre.
- Étape 1) Ils veulent expulser les habitants de Douala de leur lieu d’habitation, pour mettre en place une ville coloniale pour les Européens. Ce sera un secteur pour l’établissement des services publics et des résidences.
- Étape 2) Création de nouveaux lotissements (New Bell, New Akwa, New Deido) pour ces populations. Ce deuxième secteur est pour le peuple de Douala.
- Étape 3) Séparation de la population locale, avec la nouvelle ville, grâce à barrière (Freie Zone ) d’ un kilomètre de large.
- Étape 4) Ils vont dédommager les populations indigènes en les payant.
La véritable raison : les Allemands trouvent que les populations indigènes sont sales et vectrices de maladie. Selon le docteur allemand Zieman, « 72 % des Duala sont infestés par la malaria ou le paludisme. » Sois disant, pour des « raisons d’hygiène ou d’utilité publique », ils veulent exproprier les terres du peuple camerounais.
Ce projet ne respecte pas le traité du 12 juillet 1884 :
_Ils empêchent les habitants de Duala (Douala) de se nourrir et de subvenir à leurs besoins. Il faut noter que le peuple vivait de la pêche et de l’agriculture. La terre et la mer sont vitales pour leurs survies.
_Ils volent la terre des ancêtres du peuple, pour un prix dérisoire. La somme proposée est de 40 Pfennigs par m2. Et même, pour de l’argent, on ne vend pas la terre de ces ancêtres.
_Selon le traité de 1884, les droits de régler les problèmes fonciers incombent non au Reich, mais aux Duala. »
_ Le traité de protectorat signé à l’époque ne prévoyait pas l’expulsion des Camerounais de leur lieu d’habitation et que cette séparation des territoires était une forme d’Apartheid.
Lorsque les chefs des différents clans sont informés de ce projet « honteux. » Ils s’y opposent farouchement : « Nos terres et biens sont notre richesse, c’est de leur vente que nous vivons. »
Rudolf Duala Manga Bell, se sent trahi et meurtri, car il avait une entente cordiale avec les Allemands. Il qualifie ce projet « d’apartheid. » Il s’insurge, avec vigueur, contre ce projet d’urbanisation totalement absurde et injuste. Tous les chefs de clan unis avec le roi Rudolf Manga Bell sont unis contre ce projet et refusent catégoriquement de déménager et de choisir un autre lieu de résidence. Le caractère, la prestance, l’éducation, le fait de parler l’allemand, font du roi Rudolf Duala Manga Bell, l’homme de la situation.
Les Allemands refusent d’écouter les revendications du peuple de Duala (Douala) et déclarent qu’ils gérer les terres Duala comme ils l’entendent.
Le combat d’un héros : « Les mots » comme arme contre l’injustice
Le roi Rudolf explique que le projet d’urbanisation, est contraire à leurs valeurs et ne respecte pas le traité de protectorat signé en 1884.
Il explique qu’ils privent les habitants d’agir et de vivre librement sur leurs terres.
Il commence une guerre. Ses armes sont les « mots. » Il entame une campagne de sensibilisation, mobilisation, d’information (comme dans une élection), à base de lettres, pétitions et unification.
Les différentes lettres écrites :
À travers Rudolf, les chefs ont envoyé une lettre en mars 1912. Il poursuit avec un second télégramme en janvier 1913.
Ils poursuivent leur combat en écrivant une lettre le 20 février 1913. Ils disent que si cela continue, ils vont révoquer le traité « germano-Douala » et traité avec une autre puissance.
« Le plan d’expropriation ignore la promesse du traité que la terre cultivée par nous et les endroits des villes construites sont la propriété des propriétaires actuels et leurs successeurs. »
Voici un extrait de la pétition du 20 Février 1913 :
Nous commençons par nier le besoin de créer une ville européenne et une ville purement indigène. La conception selon laquelle ces deux aménagements sont nécessaires n’est soutenue ni par les colons commerçants, les missionnaires…Le gouvernement mis à part, plus précisément une partie de ses fonctionnaires, ni par tous les indigènes. »
Les sanctions tombent pour Rudolph Manga Bell et il est destitué à titre provisoire le 4 août 1913, du bureau de la fonction publique, pour le remplacer par son frère Henri Lobe de Bell. De plus, l’autorité allemande lui retire 3 000 marques.
Mais rien n’arrête le courageux roi. Il écrit au Reichstag, parlementaires, journalistes, missionnaires et continue à faire des pétitions pour dénoncer ce projet de violation et d’expropriation de la terre des habitants de Douala. Il mène une lutte politique sur tous les fronts.
Grace à l’aide du journaliste allemand Hellmut Von Gerlach, il arrive à obtenir une ordonnance de suspension de la Commission du budget du Reichstag en mars. Mais, Wilhelm Solf, le secrétaire colonial, passe derrière et arrive à convaincre les Allemands de poursuivre le projet d’expropriation.
Tous ceci ne le freine pas, le roi Rudolf Manga Bell prend sa plume en arme et fait des pétitions tout en mobilisant son peuple. Il demande l’autorisation à l’administration allemande, d’envoyer un émissaire en Allemagne. Mais, les Allemands refusent.
En secret, clandestinement, le roi décide d’envoyer son émissaire Adolf Ngoso Din en Allemagne pour engager un avocat pour Douala et défendre leurs intérêts. Ngosso Din s’exécute et contacte en parallèle les milieux d’opposition pour sensibiliser leurs causes.
Mais, l’autorité allemande, bornée, commence la destruction des maisons pour le projet d’expropriation des terres. En 1913, tous les clans ont reçu une notification par décret de quitter les lieux.
Désespéré, il rentre en contact avec tous les chefs de Yaoundé, Dschang, Bali, Yabassi, Fomban, Ngaoundéré, Charles Atangana (Karl Atangana) des peuples Ewondo et Bane, Banyo pour les mobiliser. Martin Paul Samba décide de demander un soutien militaire aux Français. Le roi, les mains liées, décident de se tourner avec les autres gouvernements européens et les chefs des pays ethniques voisins pour avoir leur soutien.
Malheureusement, les Allemands sont au courant de toutes ces démarches. Ils étaient persuadés que les habitants étaient divisés et ne pouvaient pas se montrer unis pour faire face à ce projet. En colère, ils se rendent compte qu’ils ont eu tort de sur estimer le courage, l’honneur et la fierté d’un peuple. Le 10 mai 1914, ils font arrêter le roi Rudolf Duala Manga Bell et l’inculpe de « haute trahison. » Le 15 mai 1914, ils arrêtent aussi son émissaire Ngosso Din en Allemagne et le renvoie à Douala le 24 mai 1914.
Le 7 août 1914, leur procès se délibère. Suite à une attaque d’Afrique de l’Ouest des alliés en Kamerun, le procès est reporté.
Mort et exécution d’hommes courageux
Pour se débarrasser du roi Manga Bell et de ses alliés, l’administration allemande les condamnent pour « haute trahison » et arrêtent tous les chefs et l’entourage de soutien du roi Manga Bell.
Après une instruction rapide, injuste, sans possibilités de se défendre, Ngosso Din et le roi Rudolf Duala Manga Bell sont exécutés par pendaison le 8 août 1914 vers 17 heures. Le règne du roi aura duré de 1908 à 1914.
Les derniers mots de Rudolf sont :
« Unschuldiges Blut hängt ihr auf. Umsonst tötet ihr mich. Aber die Folge davon wird die größte sein. »
Le sang innocent dépend d’elle. Librement, vous me tuez. Mais la conséquence sera la plus grande. Je vous en supplie, écoute ma dernière volonté, que cette terre ne sera jamais achetée par les Allemands. »
LES NOMS DES PERSONNES EXÉCUTÉS
- Rudolf Douala Manga Bell (1872 – 1914)
- Adolf Ngosso Din (1882 -1914)
- Martin Paul Samba (1874 – 1914)
Les derniers mots de Martin Paul Samba, aux bourreaux allemands :
Vous n’aurez jamais le Cameroun. »
- À Grand Batanga, le chef Madola, accusé d’avoir envoyé une pirogue pour contacter un bateau ennemi en mer, est déporté et exécuté à son tour.
- Edandé à Kribi.
- Dans le Nord Cameroun, quelques jours plus tard, les lamibé de Kalfu et de Mindif et cinq dignitaires de Maroua sont également tués.
Les Allemands voulaient détruire ce mouvement national du peuple camerounais. Ce mouvement nationaliste était vu comme un danger pour eux. Il fallait absolument l’éradiquer.
Les prières des héros camerounais furent entendues, car les Allemands ont perdu la guerre et ont été obligé de céder toutes leurs colonies. Le 27 septembre 1914, les alliés arrivent à Douala.
Le 28 septembre 1914, Richard Din Manga Bell et Théodore Lobe Bell, frères de Rudolf, seront successivement les régents jusqu’en 1950. Ils vont se battre activement pour récupérer leurs terres perdues. En 1950, après 30 ans de batailles, le fils de Rudolf, Alexandre Ndoumb’a Douala, va devenir roi de 1950 à 1966.
Avez-vous entendu parler du roi Rudolf Duala Manga Bell ?
Bonjour je suis très content de lire cet article sur Rudolf Duala Manga Bell. Je suis d’origine camerounais. Et, je trouve ce genre d’article très important, car on n’oublie souvent, qu’il y’a eu des militants, combattants pour lutter contre les colons etc… Bref, en deux mots il faut qu’on prend pour exemple l’attitude et le courage du roi Manga Bell, qui est mort pour tout les camerounais. Cela nous apporte un sentiment de fierté national. Il faut protéger notre terre, nos richesses et garder notre patrimoine. L’homme fait l’homme. Et, il ne faut pas attendre des autres, qu’ils nous aident. Mais, il faut se prendre en main.
un grand martyr qui préféra se laisser pendre que de se soumettre au colon allemand !!
Quel act héroïque! !